Nidaa Tounés, la déroute désordonnée

 Nidaa Tounés, la déroute désordonnée

 

L’hémorragie continue au sommet du parti fondé par Béji Caïd Essebsi, Nidaa Tounès. Au niveau des députés, ils sont désormais une douzaine à avoir déserté ce parti, la plupart ayant rejoint le bloc de la Coalition nationale fraichement constitué. Tous ou presque ont justifié leur décision par l'absence de concertation au niveau de la prise de position et de la monopolisation du pouvoir en son sein, une critique dirigée contre Hafedh Caïd Essebsi et son cercle proche.

Ce dernier commence d’ailleurs à se rétrécir puisqu’outre Wissem Saïdi qui a démissionné avec fracas, d’autres, comme Borhen Bsaïes ou encore Samir Labidi ont préféré se retirer sur la pointe des pieds. Pour la première fois, des appels sont lancés au directeur exécutif pour qu’il se retire, notamment de la part de la députée Ons Hattab nommée il y a quelques semaines porte-parole du parti.

Anis Ghedira ancien ministre de transport, un des fondateurs du mouvement et membre de l’instance politique n’y va pas par le dos de la cuillère en faisant porter la responsabilité de la crise du Nidaa au ’’duo’’ Hafedh Caïd Essebsi et Sofien Toubel président du groupe parlementaire et en leur demandant de quitter le parti seule solution à ses yeux pour le sortir de la mauvaise passe.

Ce n’est pas tout. La trésorière du parti, membre de son instance politique et ministre dans le gouvernement Youssef Chahed, Selma Elloumi Rekik a déploré, quant à elle, les divisions au sein du parti, exhortant à davantage d’unité.

Dans un post publié sur Facebook, elle a mis en garde contre cette situation affirmant qu’elle conduira à un échec cuisant lors des prochaines échéances électorales. Elloumi a souligné la gravité de la situation que traverse le pays et qui menace de le faire sombrer, précisant que de nombreux défis se dressent devant la Tunisie, notamment, sociaux, économiques et politiques.

Selon elle, la seule solution est que les différents camps fassent des concessions car aucun n’a le monopole de la vérité, réitérant sa demande d’union pour se renforcer. La responsable a conclu par un avertissement, rappelant que les Tunisiens sont désespérés et que seule l’unité pourrait remédier à cet état de fait.

Ceci sans parler des coordinations régionales et locales qui commencent à donner de la voix s’élevant avec véhémence contre la décision de geler l’adhésion du Chef du gouvernement Youssef Chahed et de le renvoyer devant la commission de discipline. Une décision déconcertante, pour ne pas dire saugrenue dont on ne trouve pas de précédent dans l’histoire politique ancienne et moderne puisque jamais un parti en fonction n’a mis à la porte le chef de gouvernement qu’il a lui-même proposé à cette fonction.

Le coordinateur régional de Nidaa Tounes à Bizerte, Mondher Bayrem résume bien l’état d’esprit des bases du Nidaa qui rejettent totalement toute exclusion et appellent à la préservation de l’unité du parti et du projet démocratique pour lequel il a été créé.

 Ce questionnaire, la risée de tous

Comment qualifier la situation à Nidaa Tounés ? Parler de débandade ne reflète plus la réalité. On est désormais, devant une déroute désordonnée où chacun va de son côté sans soucier de ce que fait l’autre et surtout sans se préoccuper de l’état de l’ensemble.

Certes des voix s’élèvent ça et là pour mettre en garde contre cette situation désastreuse mais sans pour autant prendre les devants d’une action salvatrice. Car poser le diagnostic sans proposer les remèdes ne sert à rien sinon à faire perdurer la crise.

Car il faut bien se rendre compte que la décision de geler l’adhésion de Youssef Chahed a été contreproductive puisqu’elle a eu le contraire de l’effet escompté surtout qu’elle a été précédée par le fameux questionnaire, un geste qui a été la risée de tous.

Ainsi le Chef du gouvernement a réussi à renverser la vapeur et alors qu’on lui faisait porter la responsabilité de la crise politique, il a refilé la crise à Nidaa Tounés qui est en plein dedans, sans que l’on puisse envisager comment elle peut être dénouée.

On a bien annoncé des dates pour le congrès national électif, les 26 et 27 janvier 2019 et on a même désigné un président de la commission de préparation de ces assises, en la personne du député et homme d’affaires Ridha Charfeddine, mais on voit mal un congrès se tenir dans les conditions actuelles. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que des dates ont été fixées pour le congrès de Nidaa Tounés mais elles ont été toujours repoussées et cette fois-ci ne fera pas exception.

Dans un parti normal, le différend entre le chef du gouvernement et son parti devrait être réglé au sein des instances du parti en présence du chef du gouvernement. Sans nécessairement que le linge sale soit exposé en public. Mais en fait, Nidaa Tounés est-il vraiment un parti normal.

Le parti historique fondé par Béji Caïd Essebsi n’est plus que l’ombre de lui-même. Réduit à la portion congrue, c'est-à-dire aux seuls affidés de Hafedh Caïd Essebsi, il ne pèse plus lourd sur la scène politique. Wissem Saïdi démissionnaire sait ce qu’il dit lorsqu’il affirme sans ciller qu’être gelé c’est être privé de boire un café à la ’’diwania’’(le salon) du directeur exécutif a su résumer la situation au sein de ce parti.

 Chahed détient d’indéniables atouts

En face, le chef du gouvernement détient d’indéniables atouts. Le mouvement Ennahdha n’est plus le seul parti à lui exprimer son soutien. La constitution d’un bloc parlementaire pro-Chahed a changé la donne puisque désormais le locataire de la Kasbah peut bénéficier de la majorité absolue de 109 députés à l’ARP.

Ainsi non seulement il va faire approuver la loi des Finances pour l’exercice 2019 qu’il va présenter d’ici le 15 octobre à l’assemblée mais il est en mesure d’obtenir la confiance pour le remaniement partiel du gouvernement que le parti islamiste l’encourage à faire pour clore cette crise de gouvernement qui n’a que trop duré.

On lui prête d’ailleurs l’intention de mettre en place une équipe resserrée et autrement structurée. Ça ne saurait tarder dit-on. Surtout qu’il a apaisé ses rapports avec l’UGTT à la suite de sa rencontre à Dar Dhiafa avec le secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Tabboubi.

En annonçant la mort du processus de Carthage 2, ce dernier a offert à Chahed un cadeau inespéré, car désormais il a les mains libres pour conduire son gouvernement à sa guise. Même la décision de la commission administrative de l’UGTT pour une grève dans le secteur public et la fonction publique n’est qu’un coup de semonce pour faire pression sur le gouvernement pour clore les négociations sociales. Sans plus.

Tabboubi a dit aussi que l’ARP est le seul cadre adéquat pour régler les problèmes du pays. Désespéré de voir Youssef Chahed démissionner ou solliciter un vote de confiance à l’assemblée comme il lui en intimé l’ordre, le président de la République Béji Caïd Essebsi réfléchit dit-on à mettre en application l’article 99 de la Constitution qui lui permet au cours de son mandat de ’’demander à l’Assemblée des représentants du peuple de procéder à un vote de confiance au gouvernement, au maximum deux fois pendant le mandat présidentiel. Le vote se fait à la majorité absolue des membres de l’Assemblée des représentants du peuple. Si cette dernière ne renouvelle pas sa confiance au gouvernement, il est considéré démissionnaire, et le Président de la République se charge de désigner la personnalité la plus apte à former un gouvernement dans un délai de 30 jours. En cas de dépassement du délai ou si l’Assemblée n’octroie pas sa confiance au nouveau gouvernement, le Président de la République a le droit de dissoudre l’Assemblée et d’appeler à la tenue d’une élection législative anticipée dans un délai minimum de 45 jours et maximum de 90 jours. En cas de vote de confiance au gouvernement par deux fois, le président de la république est considéré démissionnaire’’.

BCE osera-t-il aller devant l’ARP ?

A moins que le président de la République veuille aller jusqu’au bout et mettre son mandat dans la balance, cette démarche est vouée à l’échec. Car à moins d’un changement dramatique de la situation, toujours possible, il est peu probable qu’une majorité de 109 députés puisse être alignée pour faire chuter le gouvernement.

Le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi reçu au Palais de Carthage a été net et précis sur la question en soulignant l’attachement de son parti à la « stabilité gouvernementale ».

Mais si cette ’’majorité introuvable’’ est quand même obtenue, il est probable qu’elle n’accepterait pas aussi docilement qu’auparavant le nouveau chef du gouvernement sorti du chapeau du président de la République.

Si le Parlement refuse, pourrait-on imaginer BCE prendre le risque de dissoudre l’Assemblée actuelle et convoquer des élections législatives anticipées alors que l’échéance normale arrive dans quelques mois, tout au plus une année.

On dit que le président de la République va s’adresser aux Tunisiens lors d’une interview télévisée qui aura lieu pour la première fois en direct. Que va-t-il leur dire ?

Si sur le plan institutionnel tous les scénarios sont impossibles à mettre en place, peut-être trouvera-t-il l’occasion propice pour appeler à l’apaisement. En fait personnellement, il n’a aucun problème avec Youssef Chahed qu’il a lui-même nommé à sa haute fonction. C’est au parti Nidaa Tounés de régler ses problèmes avec le chef du gouvernement et lui, président de tous les Tunisiens n’a pas à y interférer.

De quoi clore un mauvais feuilleton qui n’a que trop duré.

RBR

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