Que disait Bourdieu des radios tunisiennes !

Que disait Bourdieu des radios tunisiennes !

Par Jamel HENI

Au rebours de la télé, la radio a la compagnie facile. Elle se prête mieux à une attention multi-tâche, on peut l’écouter en voiture, au boulot. Pour peu qu’elle passe inaperçue, elle façonne insidieusement goût et opinion. 

Les sons font sens, changent l’humeur, mais aussi les idées. Tenez. Buzzez. Arrêtez-vous aux quatre stations les plus connues de la place. Vos tympans et votre cortex auditif en tomberaient d’idées reçues, bien reçues, toutes reçues, rien que reçues. Nos radios se marchent toutes sur les ondes. Les matinales « refusent la contraception », rien ne ressemble à la nocturne de Hassan qu’une nocturne de Houcine !

Le buzz l’impose. Fastoche. Pas tout à fait ; puisqu’elles perdent en originalité, en teneur et en légitimité. On dirait qu’il n'y a plus de prime-time ni même de « programmation » ! Les talk-radio, comme les matinales se « reproduisent », les kids cessent la pilule ! Hassan, est relevé par Houcine, qui fait du bonnet blanc ou l’inverse!!! Mêmes chroniqueurs, mêmes invités, mêmes blagues, mêmes inflexions, mêmes interjections, mêmes calembours, mêmes antiennes, mêmes réquisitoires, contre l’Arabe littéraire, contre l’Arabe tout court, contre l’Arabe du Golfe et du « basket », pour l’underground, l’undermezoued, l’underclothes, l’underlablabi !

D’abord la succession de talks est d’un dilettantisme ! Même en montage, les plans similaires ne sont jamais juxtaposés, ça donnerait une impression de continuité, d’unité, de constance. Pour que déroulement, succession, chronologie, temps, soient « induits », faut-il alterner les plans, intercaler des coupes, des transitions, introduire des oppositions, des contrastes. Le temps n’existe pas, encore faut-il l’inventer. Or, nos radios émettent toutes d’un trait, d’une pièce, d’une seule « sinusoïdale ». On dirait une seule émission, interrompue par des rafales de vent. Nos antennes ne sont pas temporelles, elles « ne s’écoutent pas ». Elles parlent en même temps. Tout le temps. En dehors du Temps.Contretemps.

Ces « audio-robinets » coulent de source. Les mêmes sources : une logorrhée, une boulimie d’opinion qui vient compenser un demi-siècle de silence honteux. Que proposent-elles ? De la Science ! De l’essai. Walou. Que des chroniques. Des chroniqueurs ? Même pas. Des figures de proue ? Seulement. Suffit-il d’être célèbre pour « chroniquer ». Paraît. L’unique critère d’admission à la radio est d’être déjà célèbre. Et la chronique alors ? Eh bien c’est un sous-produit de la réputation ! Ah bon, pas l’inverse ! Non, pas l’inverse.

Raï Uno est passée par-là. Bourdieu aussi. Le sociologue français contestait déjà cette corrélation entre « célébrité » et « opinion ». Un artiste n’est pas forcément plus légitime en opinion.  Il voyait venir la toute-puissance de la chronique, la défaite de la spécialité et la retraite de la science. Il écoutait déjà Shems, IFM, Mosaïque et Jawhara. Bourdieu se serait vu reprocher « la ringardise de l’arabe littéraire » !! Et de répondre : qui en a décidé ainsi ? Les niveaux de langues vont du soutenu, au populaire en passant par le familier. Sans parler d’argot. Encore moins de verlan. L’Arabe littéraire n’est pas en guerre contre un dialecte. Quelle idée ! Le littéraire protège et nourrit son cadet dialectal. Il lui fournit matrice et abstraction, concepts, formes complexes et élaborées. La géométrie et l’algèbre, le droit, la philosophie….reposent sur des formalismes, lesquels s’énoncent rigoureusement dans un idiome littéraire. Comment dire « barnamaj » en dialectal ? « chellet Amine » n’en est qu’un cas !!!

J’aurais voulu murmurer  à l’oreille d’un ami animateur : y a aucune ringardise à demander l’hôtel-Dieu, lorsque le taxi entend « hôpital ». Supposons que Zola  n’aimait pas le mot hôtel de ville, est-ce une raison pour que la France entière cesse d’en faire usage. Sommes-nous si près de Zola ! Bah, un peu de sérieux ! La langue oui. La langue officielle, oui. Les langues proscrites, non,  non et non, l’autodafé des dictionnaires populaires non…...

A propos, je trouve « essbitar » bien plus ringardque « almoustachfa » !

Croyez-vous  que nos « wach, houmaani, lalmaan, mtiquer….. » pourraient prétendre à la même postérité que les mots de Chebbi, Messadi et Khrayef! Ah, Khrayef, cet auteur iconoclaste, au phrasé « tuniso-arabe » exquis, savoureux et ardent….. !

 

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