Un historien français : « l’expérience démocratique tunisienne en péril »

Un historien français : « l’expérience démocratique tunisienne en péril »

L’historien français Pierre Vermeren, auteur de nombreux ouvrages salués par la critique, a consacré une tribune à la Tunisie dans le Figaro de samedi 29 et dimanche 30 juin 2019 sous le titre « Tunisie : l’expérience démocratique en péril ». C’est à la suite des attentats terroristes et de l’hospitalisation du président de la république.

« Deux attentats kamikazes au cœur de Tunis ont tué un policier et blessé huit personnes ce jeudi 27 juin 2019, au moment où le pays se félicitait du redémarrage en flèche du tourisme international. Quelques heures auparavant, une attaque de djihadistes, qui a échoué, avait pris pour cible, dans le sud du pays, une station de transmission dans la montagne de Gafsa, ville tunisienne emblématique de plusieurs attaques (comme la probable tentative d’insurrection armée menée par 300 hommes en 1980) et mouvements de révolte (grèves de 2008).

Ce même jeudi, le vieux président de la République (92 ans), Béji Caïd Essebsi, amaigri et affaibli, a été hospitalisé suite à un malaise (le deuxième en une semaine) à l’hôpital militaire de Tunis. Et la veille, la responsable de l’Instance vérité et dignité (IVD), en charge de la justice transitionnelle à la suite des dictatures nationales, a pour la première fois demandé des comptes à la France pour les « crimes de Bizerte » de juillet 1961, affaire dans laquelle les historiens reconnaissent l’irresponsabilité du président Bourguiba. À quelques mois des élections générales de l’automne 2019, une grande fébrilité s’empare de ce pays.

Jamais, depuis la révolution de 2011, la démocratie tunisienne, la seule à ce jour entre Maghreb et Moyen-Orient, n’a connu un tel état de péril. Quatre séries de facteurs convergent pour resserrer le nœud coulant autour de cette expérience politique et sociale unique entre Sénégal et Inde : les facteurs de déstabilisation en Afrique du Nord, les enjeux internationaux, la dégradation économique continue, et des circonstances politiques accablantes.

Pour lui « la Tunisie est minée par une série de facteurs exogènes et internes qui méritent l’attention des bailleurs de fonds de cette expérience démocratique pilote ». Il pointe du doigt « les tristes manœuvres d’appareils politiques, le retour des basses œuvres de la police politique, et les changements d’alliances de la classe politique qui en sont la cause ». Il parle de la panique qui s’est emparée de la coalition au pouvoir « face à une sévère défaite redoutée et à la perte du pouvoir d’État ». C’est pourquoi, « le gouvernement et la coalition au pouvoir ont changé la loi électorale ce 18 juin afin d’écarter de la compétition présidentielle les deux candidats placés en tête par un récent sondage ».

« Au titre des facteurs exogènes prédomine la situation du Maghreb », notamment en Algérie et en Libye. En plus des autres pays arabes qui ne veulent pas que l’expérience démocratique réussisse en Tunisie. La quasi-totalité des États arabes attendent avec impatience la chute de l’expérience politique tunisienne, perçue comme un mauvais exemple», écrit-il notamment.

 C’est pourquoi, selon lui « il revient à l’Union européenne de pallier ce manque. Celle-ci a déboursé 2,4 milliards d’euros de 2011 à 2017, doublant son aide, et elle la renforce à 1,2 milliard maximum de 2017 à 2020. Mais cette aide européenne est complexe et conditionnée, ce qui n’a rien à voir avec les aides arabes potentielles, et elle reste modeste eu égard aux enjeux politiques (l’équivalent d’un plan Marshall aurait débouché sur plus de 15 milliards d’euros d’aides), d’autant plus qu’elle est dévorée par une situation économique dégradée ».

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