Assassinat de Refka Cherni, ce crime qui a ému toute la Tunisie

Assassinat de Refka Cherni, ce crime qui a ému toute la Tunisie

"Quand les hommes sont opprimés, c’est une tragédie. Quand les femmes sont opprimées, c’est la tradition". Cottin Pogrebin

Une femme est décédée à l’hôpital régional du Kef après avoir reçu cinq balles tirées par son mari, agent de la Garde nationale, en raison d’un différend familial. Elle a déjà été victime de violence conjugale.

Agée de 26 ans, la victime, Refka Cherni, était mère de trois enfants. Elle avait porté plainte à plusieurs reprises contre son mari agresseur sans que le procureur de la République ni les autorités sécuritaires ne donnent suite à sa demande. Moins de 48 heures après sa dernière plainte, le pire a eu lieu.

L’assassinat abject de la jeune femme a suscité un tollé en Tunisie sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ce drame national a relancé le débat sur l’application de la peine de mort sujet très clivant. Une peine qui n'a plus été appliquée depuis 2001.

Ce meurtre nous rappelle une triste et affligeante réalité car les violences faites aux femmes constituent un phénomène de société installé dans les us. La violence est un problème chronique qui touche une Tunisienne sur deux.

En 2019, 78.1% des femmes en Tunisie disent avoir subi une violence psychologique dans l’espace public, tandis que 41.2% ont été victimes de violences physiques et 75.4% de violences sexuelles.

Selon le rapport de L'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), 75% des femmes en Tunisie ont été victimes de violence pendant le confinement général du 16 mars et le 30 avril 2020.

Le machisme tue tous les jours

On ne tue pas par amour ou par passion. Il y a des féminicides, des femmes tuées par ce qu’elles sont femmes, considérées comme des propriétés privées du couple, de la famille élargie (la tribu).

« Au commencement d’un féminicide, il y a souvent la volonté d’un homme de contrôler « sa » femme dans ses moindres faits et gestes. La victime se retrouve captive, engluée dans une relation qui la détruit. Quand la victime parvient à se libérer de l’emprise de son compagnon, ce dernier vit cet affranchissement comme une dépossession intolérable. La séparation est l’élément déclencheur le plus fréquent des meurtres.

Les féminicides conjugaux sont souvent marqués par un déchaînement de violence, une volonté d’anéantir la victime et ce qu’elle représente. Cet acharnement peut aller jusqu’au meurtre des proches et des enfants du couple. »

La notion de « crime passionnel » a longtemps occulté la mécanique des homicides conjugaux. Les avocats eux-mêmes ont habilement entretenu ce malentendu : il est plus aisé de défendre un amoureux déçu qu’un homme violent.

Nombre de féminicides pourraient être évités si les signaux d’alerte étaient mieux détectés. Un tiers des victimes avaient signalé aux autorités des violences conjugales avant de mourir, mais 80 % de ces plaintes sont classées sans suite.

La Tunisie pionnière en matière des droits des femmes

Toute femme a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne car les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits sans distinction de sexe. La violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits de l’Homme.

La Tunisie  est toutefois considérée comme pionnière en matière de droits des femmes dans les mondes arabe et musulman et la nouvelle Constitution adopté  en 2014 stipule que les « citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs ».

En Tunisie, une loi pionnière contre les violences faites aux femmes a été votée à l'Assemblée des Représentants du Peuple le 26 juillet 2017. La loi, couvre un large éventail de violations. Elle reconnaît non seulement les violences physiques, mais aussi psychologiques et économiques. Elle met en place des mesures de protection et de prise en charge des victimes.

Espérons que le drame survenu au Kef sera un vrai accélérateur de l’application de la loi 58 de 2017.

La loi ne suffit pas, faire évoluer les mentalités pour gagner le combat

La loi ne suffit pas. Le combat pour arrêter ces violences sur la femme n’est pas terminé pour les défenseurs des droits des femmes, qui reconnaissent qu’il sera difficile de faire évoluer les mentalités.

La lutte contre les violences à l'encontre des femmes n'est plus « Grande Cause Nationale », mais nous appelons chaque citoyen(n)e à en faire sa cause personnelle. Chacun(e) d'entre nous peut s'engager dans ce combat, en remettant en cause les stéréotypes sexistes dans sa vie quotidienne, en sensibilisant ses proches, en se mobilisant pour obtenir des pouvoirs publics le renforcement de la politique de lutte contre les violences.

Il est nécessaire de poursuivre et de renforcer les politiques publiques et les moyens dédiés pour la prévention et l’accompagnement des femmes ainsi que le soutien aux associations engagées dans la lutte contre ces violences, en particulier celles qui accompagnent des femmes sur l’ensemble du territoire.

Il est temps de changer complétement la donne, comme le dit Letty Cottin Pogrebin : "Quand les hommes sont opprimés, c’est une tragédie. Quand les femmes sont opprimées, c’est la tradition". Toutes les traditions discriminatoires vis-à-vis des femmes doivent être abolies car la République c’est l’égalité entre ses citoyens..

S'il y a un vœu à faire pour 2021, c'est que la lutte contre les feminicides et les violences conjugales ne reste pas un vœu pieux. Car comme l’écrit l’ONU, le nombre de feminicides constitue le thermomètre de l’égalité femme-homme dans un pays.

Abdessatar Klai

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